Cayenne "La crique"

La Crique

La Crique...Le nom de ce quartier de Cayenne sonne comme celui d'une anse de flibustier à la Stevenson. Sur la mangrove se construit, telles les racines inextricables des palétuviers tout proches, l'identité de Cayenne.
Ce capital n'est rien moins que l'accumulation, la stratification des cultures des immigrés passés par la Crique: Chinois, Créoles affranchis de Sainte-Lucie et des Antilles au XIXe siècle, immigrés ruraux durant la première moitié du XXe siècle; Brésiliens, Surinamais, Haïtiens, Guyaniens, Dominicains durant la deuxième moitié du XXe siècle. On trouve ici les exclus du système social et ceux dont le parcours migratoire réussi remet en cause les conservatismes politiques locaux.
Ils sont là, réfugiés dans cet écrin insalubre comparable à tous les quartiers d'immigrés, ceux de Texaco, de Laredo, d'Accra, de Lagos ou de Manille.
Au débouché, l'embouchure de la rivière Mahury offre aux marins une sortie protégée vers l'océan, et aux passeurs une arrivée discrète par la Crique.
Ce lieu est une place commerciale, plus encore les jours de marché.
Dans un apparent désordre, en réalité une organisation spatiale codifiée, on trouve pêle-mêle les mareyeurs, les lieux de stockage du poisson, les vendeurs et le chantier naval. Si les Haïtiens préparent le poisson, les Brésiliens et les Guyaniens sont employés sur les caboteurs de pêche côtière, comme simple marins ou capitaines.
Les bateaux sont la propriété d'armateurs locaux. La réparation et la construction de bateaux de pêche fait appel à un savoir-faire amapaense, diffusé par ces habitants de l'Etat fédéral d'Amapa. Mais sur la place dédiée à ce chantier informel, point de formes de radoub ni de grues de halage. Les bateaux sont tirés, puis maintenus par des rondins.
Ouvriers et charpentiers de marine, présents depuis longtemps ou arrivés plus récemment, commencent à travailler dès l'aube, dormant sur les bateaux, dans leurs membrures, et formant un monde à part.
Extrait de: Migrants en Guyane/Frédéric Piantoni